La vierge toute excitée

C’est le fantasme le plus dérangeant : le fantasme d’être violée. Évoquez le seulement, et c’est le malaise immédiat. D’ailleurs, d’ici, je vous sens embarrassé-e. Oui, vous. Comment pouvez-vous imaginer qu’une telle chose soit excitante ? Vous vous dites. Encore faudrait-il que dès le plus jeune age, nous les filles, devons pas penser que le désir est une affaire d’homme, si nous ne pouvons pas le cacher, nous ferons mieux et nous aurons un peu moins honte. Le prince ne se fiche-t-il pas éperdument du consentement de la belle au bois, quand il fourre sa langue dans sa bouche endormie ? Dans l’une des plus anciennes versions de cette histoire, la situation était pire : il la pénétra alors qu’elle était inconsciente. Charmant. Néanmoins, 31 à 57 % des femmes prêteront attention au fantasme du viol, même si cela dérange. Alors, au lieu de le décortiquer du bout des doigts, laissons Annabel, 24 ans, nous le raconter. Ce fantasme, il fait partie d’elle depuis neuf ans. Neuf ans à le décortiquer, dans tous les sens… elle l’a enfin apprivoisé. Elle a osé en parler ici pour la .

« Souvent, c’est un homme inconnu dans mon imagination. Parfois quelqu’un que je connais. Il me prend de force et je n’ai pas le choix. J’ai commencé à imaginer ces scènes quand j’avais treize ans. J’ai une énorme libido depuis que je suis très jeune. Un désir bouillonnant. On m’a tellement répété l’idée que conserver sa virginité, c’est être une fille bien, que j’associe ce désir qui a commencé à naître en moi avec le mal absolu. J’ai essayé de le contenir. Puis j’ai travaillé avec ma conscience. Imaginer un homme me forçant à jouir de plaisir me soulage complètement, car je ne pourrai pas choisir d’avoir un orgasme ou pas. Donc je ne serai pas en faute, je resterai une fille pure et respectable.

J’ai eu des relations avec des femmes, des préliminaires, des caresses – [Annabel pense malgré tout être vierge, ndlr], je me masturbe aussi, j’ai des orgasmes, mais c’est la pénétration qui rassemble ma peur et tous mes désirs. Parfois, j’imagine qu’une des deux personnes et l’un des mecs de l’équipe PNL qui me force à coucher avec lui. Ce sont à la fois des mauvais garçons et des hommes sensibles. C’est exactement le paradoxe qui est apparu dans mon esprit : je fantasme sur le viol et sur le type d’homme que j’aimerais rencontrer. Il trouvera que je suis vraiment unique et me traitera comme un être humain et non un trou. Alors, j’ai cultivé ces rêves d’une extrême violence, me permettant d’avoir du plaisir et de gérer la frustration que je ressens ; par contre j’attends une sorte de prince charmant, avec qui je pourrais exprimer mes désirs sans me sentir comme une mauvaise fille.

Moi, entre les deux, je suis piégé par mon désir profond : je veux être un être sexuel, pas un objet sexuel. Je veux baiser avec qui je veux, quand je veux baiser, je ne veux pas être la mère ou la prostituée, je ne veux rendre de comptes à personne ! Mais je ne pense pas encore m’en sentir capable. Alors en attendant, je rêve d’une sexualité normale que personne ne pourrait me reprocher. »

Quant à moi, je n’ai pas trouvé de meilleure raison que leur fantasme pour observer le cerveau de mes semblables. Qu’il soit aussi honteux que celui d’Annabel, ou qu’il soit si banal qu’il dévoile une partie de notre imaginaire collectif.